Le 15 avril 2019, Notre-Dame de Paris brûlait. Les équipes de direction régionale des affaires culturelles et de la maîtrise d’œuvre se sont mobilisées immédiatement. Que peut-on faire dans l’urgence ? Comment se sont déroulées les opérations ultérieures ? Quel est l’état du monument et des objets ?
Raconter ce que nous avons vécu la nuit du 15 avril 2019, lors de l’incendie de la cathédrale Notre-Dame de Paris et ce que nous vivons depuis est une vision partielle et personnelle. Narrer la suite est également une vue imparfaite et incomplète, celle d’un conservateur des monuments historiques, d’un ingénieur des services culturels et d’un architecte en chef des monuments historiques, tous trois chargés de la cathédrale par leurs fonctions.
Le 15 avril, nous sommes prévenus vers 18h55 de la présence de fumée sortant de la cathédrale. La première d’entre nous était à Versailles, le second à Paris et le troisième en Charente-Maritime. Jean-Michel Guilment arrive très vite sur la base vie du chantier de la flèche située au chevet. Il participe au sauvetage des œuvres dans la cathédrale, chandeliers sur les autels, garniture du Sacre de Napoléon Ier et deux tableaux décrochables, « La Nativité de la Vierge » de Le Nain et « la Vierge de Pitié » de Lubin Baugin. Sont également évacuées du trésor la tunique de saint Louis et sa discipline. Tous les objets sont entreposés dans la base vie. Les reliques de la couronne d’épines, de la croix et du clou, qui se trouvent dans la chapelle axiale, sont extraites par Laurent Prades, régisseur général de la cathédrale, et Antoine-Marie Préaut, conservateur régional des monuments historiques. Marie-Hélène Didier arrive, avec beaucoup de difficultés, sur le parvis à 20h50 où l’attendent les représentants de la Direction générale des Patrimoines. Vers 22h, le groupe sur le parvis est admis à rejoindre, par la rue du Cloître, le second groupe cantonné sur la base vie. Les batteries des téléphones portables étaient épuisées et aucune communication n’était plus possible entre les deux groupes. Vers 22h45/23h, trois d’entre nous sont autorisés à se rendre dans la sacristie sous la conduite des pompiers pour poursuivre l’évacuation des œuvres du trésor. La sacristie est alors en principe sauvée, mais le « en principe » est dans nos esprits toujours sujet à évolution possible. Laurent Prades ouvre les vitrines car il faut un certain doigté pour y arriver vite et facilement. Les pompiers sortent sur nos conseils de manipulations, les deux reliquaires de la couronne d’épines (celui de Cahier et de Viollet-le duc), le reliquaire du clou et du bois de la croix, la Vierge à l’enfant en argent d’Odiot, sa couronne réalisée par Boucheron et la croix de la princesse Palatine. Les objets sont emballés par les pompiers. Philippe Villeneuve arrive vers 23h. La ville de Paris met à disposition des camions pour transporter tous ces objets à l’hôtel de ville où des salles nous sont ouvertes. Les objets les plus précieux sont placés dans un coffre-fort. L’évacuation commence vers 23h30. Le personnel de la Mairie nous aide à vider les camions au fur et à mesure de leur arrivée. Tout est bouclé vers 2h du matin. Côté cathédrale, il faut attendre ; le beffroi nord est attaqué par les flammes. La croisée ne s’effondre qu’au cours de la nuit. Nous ne pouvons plus rien faire. Seuls les pompiers peuvent agir.
Le 16 avril au matin, nous étions tous présents et nous voyons des éléments de bois sur le sol et sur les voûtes, l’échafaudage de la restauration de la flèche qui porte encore le fantôme de ce qu’il enserrait. Plusieurs opérations se déroulent en parallèle sur l’édifice et les objets. La cathédrale est inspectée par Philippe Villeneuve et les pompiers. Marie-Hélène Didier examine l’état des différents objets qui sont tous intacts, excepté le maître-autel de Sébastien Touret qui datait de 1989, situé à la croisée du transept. Les bois sont tombés à chaque fois au ras des objets. Jean-Michel Guilment étudie dans le cadre de la maîtrise d’ouvrage comment réaliser les travaux d’urgence. Les entreprises sont déjà présentes. Le coq retrouvé côté nord est rapporté par Philippe Villeneuve. Les objets vont de la Mairie au Louvre et tout le monde se mobilise pour leur suivi et leur repérage. Mille trois cent objets sont ensuite évacués au musée du Louvre. Les opérations de sécurisation de la cathédrale commencent avec les consolidations des différents pignons qui risquent de tomber. Les poutres de bois sont acheminées dans les hauteurs pour étayer les structures. Des statues sont déposées en urgence car éclatées sous la chaleur. Les plus fragiles sont emmaillotées avant d’être soulevées par les grues. Tous les soirs nous avons une réunion de chantier pour faire le point des interventions sur la cathédrale et vers 19h/19h30 un débriefing complet avec les pompiers qui sont toujours les seuls maîtres de la cathédrale, afin de prévoir et d’informer chacun des opérations prévues le lendemain. Dix-sept tableaux de grande taille sont décrochés en un temps record et emportés dans un entrepôt où ils sont examinés et dépoussiérés ; il en est de même des tableaux accrochés dans la salle haute de la tour nord, les murs ayant été fortement arrosés lors de l’attaque du beffroi par les flammes. Les derniers objets sont sortis le 25 avril, les trois tapis dont celui de Charles X, et la statue de la Vierge à l’enfant, à la croisée du transept, en zone inaccessible, qui avait au-dessus de sa tête des poutres calcinées en équilibre. Le transporteur fabrique, pendant plusieurs heures, une sorte de carapace de tortue dont les plans sont approuvés par l’architecte en chef, afin de protéger la vie des hommes. La pluie étant annoncée, les bâches sont déployées sur des poutrelles métalliques par les cordistes pour couvrir la cathédrale. À l’intérieur, des filets sont tendus dans la nef, le transept et le chœur pour parer et repérer toute chute de matériau. La mobilisation des entreprises est grande et environ une centaine de compagnons sécurisent l’édifice tous les jours.
Les vitraux des verrières hautes de la nef sont enlevés afin de permettre le passage ultérieur de poutres à travers les baies. Une protection est installée au-dessus du « Vœu de Louis XIII » à l’aide de tubes d’échafaudage et de bastaings pour limiter les dégâts en cas de chute de pierre. La base vie, dimensionnée pour trente personnes commence à se réorganiser avec la mise à disposition par la ville du square Jean XXIII. Les mobiliers du jardin sont ôtés et les dalles béton coulées pour supporter les différents bungalows nécessaires pour cent trente personnes. L’intérieur de la cathédrale est régulièrement nettoyé. Des barnums sont installés sur le parvis pour accueillir les débris sortis de la cathédrale, poutres carbonisées, fragments de pierre. La sortie des éléments en zone inaccessible est faite par des robots qui attrapent les morceaux triés ensuite par la police, le Laboratoire de recherche des monuments historiques et le service régional de l’archéologie, afin de mettre de côté les morceaux qui pourraient être réutilisés comme des claveaux ou des éléments sculptés ou utiles à la recherche. Chaque fragment est répertorié comme pour une fouille archéologique et posé sur des palettes. Un éclairage provisoire est installé dans la cathédrale. La base d’une des cloches de la flèche est récupérée. Deux des quatre têtes d’anges qui se trouvaient autour de l’oculus de la croisée du transept réalisées par Germain Boffrand au XVIIIe siècle sont retrouvées. Le nettoyage du sol de la croisée fait apparaître les dégâts causés aux marches.
Les arcs-boutants sont mis sur cintre afin d’éviter tout mouvement des murs, ceux-ci n’étant plus chargés par la charpente et la toiture. Les voûtes du bras nord du transept sont déblayées et paraissent en bon état mais, malheureusement, on ne sait pas si on peut généraliser cela à l’ensemble de la cathédrale. Le plancher haut pour examiner les voûtes est installé au-dessus du chœur. Quelques fragments de voûte tombent. Le LRMH effectue des essais de nettoyage et déplombage sur deux chapelles de la nef avec cinq méthodes différentes. Des tests lingettes pour déterminer les teneurs en plomb restantes sont effectués sur une zone non dépoussiérée, une zone dépoussiérée et les différentes zones avec les différents produits et cela sur tous les matériaux : pierre, bois, métal, vitrail, peintures murales. Les résultats sont très prometteurs. La maîtrise d’ouvrage s’est organisée pour gérer ce gigantesque chantier régi par l’urgence impérieuse dans laquelle nous sommes toujours six mois après.
Il ne faut pas oublier qu’il subsiste les seize statues de la flèche déposées le 11 avril, actuellement en restauration.
Et pour terminer, quelques mises à l’honneur : le prix d’honneur de Batiactu délivré le 10 septembre à tous les intervenants sur le chantier de Notre-Dame de Paris (maîtrise d’ouvrage, maîtrise d’œuvre, entreprises, LRMH) ; l’exposition organisée par Judith Kagan au ministère de la Culture, lors des journées européennes du patrimoine du 20 au 22 septembre, présentant, outre des dessins, photographies et relevés de la charpente, des statues de la flèche, l’aigle, l’ange, le coq et la tête de Viollet-le-Duc ; l’exposition du tapis de Charles X au Mobilier National pour ces mêmes journées. Et maintenant, les statues de la flèche sont présentées à la Cité de l’architecture et du patrimoine, pour compléter l’exposition installée depuis le mois de juin sur Notre-Dame de Paris. Elles y resteront jusqu’à leur restauration pendant plusieurs mois afin de se souvenir qu’elles existent toujours et qu’il faut les replacer. La Vierge à l’enfant est désormais présentée à l’église de Saint-Germain-L’Auxerrois, qui a repris les offices de la cathédrale.
Pour nous trois, Notre-Dame de Paris était notre seconde maison et nous nous réveillons tous les matins avec un trou béant au milieu de la poitrine.